Quand parler nous coûte trop : le témoignage de Pauline, autiste et utilisatrice de CAA
Pauline est étudiante en musique, passionnée d’instruments anciens et de balades en trottinette. Diagnostiquée autiste pendant son adolescence, elle découvre petit à petit que son mode de communication optimal passe par l’écriture et l’utilisation de moyens de communication alternative et améliorée (CAA) comme les pictogrammes et l’utilisation d’une application sur tablette ou téléphone.
Depuis ses années au collège, Pauline a expérimenté différentes stratégies pour s’exprimer, cherchant à limiter l’épuisement provoqué par l’utilisation du langage oral. Utiliser la CAA lui permet d’avoir une communication plus riche et moins couteuse, mais son entourage peut avoir des difficultés à accepter cette utilisation. Dans cet interview, elle nous partage ses difficultés et son parcours. Nous la remercions pour sa franchise, qui nous aide à encore mieux comprendre l’importance de faire connaître la communication alternative et réduire les barrières à son utilisation.
« On ne peut pas savoir à la place de l’autre si sa communication est réellement efficace, si ce qui est exprimé correspond à ce que la personne voulait vraiment dire.
Et la personne elle-même peut ne pas en avoir conscience qu’elle serait capable, avec un outil, de communiquer bien plus de choses » Pauline, autiste et utilisatrice de CAA.
Pouvez-vous nous décrire vos difficultés de communication ?
Je n’ai pas de problème « fonctionnel » du langage. Je sais former les sons et les enchaîner. Mes difficultés physiques à parler sont liées à une dysoralité sensorielle. Apporter des sensations dans ma bouche cause une saturation sensorielle. La parole comme la nourriture. Donc si je parle je dois mettre beaucoup d’énergie là-dedans et je gère moins bien le reste de l’environnement, les autres sollicitations comme le bruit et l’agitation. J’y deviens plus sensible.
Donc souvent sans outil d’aide à la communication, je ne vais pas forcément dire tout ce que je veux – je vais au plus rapide. Cela demande un effort de chercher le raccourci et pour les interlocuteurs de décoder le raccourci. Si je suis mal compris, c’est frustrant. Je crois que dans l’autisme la façon de penser crée des difficultés avec le langage oral. A dire ce que l’on pense, le formuler avec des mots sans support. C’est là que les images ça m’aide parce que c’est moins source de surcharge qu’un ensemble de lettres. Donc sans outil je me limiterais à ce que je peux dire, pas ce que je voudrais dire. Et forcément ça crée de l’incompréhension, de l’isolement. Malgré que ça puisse causer des moments très difficiles, [utiliser la CAA] apprend à mieux écouter et participer autrement.
Comment se passent vos interactions avec les autres sans la CAA ?
Souvent je me contente d’écouter un échange sans y participer. Est-ce que sans difficulté d’expression je serai plus active dans une conversation ? Je ne sais pas. Souvent les personnes ne s’imaginent pas, ils se disent que je sais dire une phrase compréhensible, donc je sais parler complètement et je n’ai pas besoin d’outil de CAA. En se disant que les outils c’est pour les personnes qui physiquement ne peuvent pas du tout parler. Et c’est compliqué à accepter car ça rend visible un handicap qui pourrait être invisible. Et même moi j’ai eu (et ai peut-être encore) du mal à l’accepter. Car le handicap mental visible fait peur, honte. Surtout que, intellectuellement, j’ai des capacités « normales », alors ça semble dommage qu’un problème soit visible. Quand je suis rentrée à l’université j’ai essayé d’être normale, porter un masque et beaucoup parler. Bien sûr pas pour des choses « profondes » car j’en suis incapable oralement mais j’arrivais très bien à donner le change au prix de trop de petites cuillères. Cela qui a donné un fonctionnement nocif et conduit à un gros épuisement. Je ne pouvais pas recommencer une troisième année comme cela.
Qu’est-ce que la théorie des cuillères ?
Certaines actions de la vie quotidienne coûtent plus d’énergie que d’autres selon nos capacités physique et mentale, notre façon de fonctionner. Ce qui est peut-être difficile à comprendre dans l’autisme, c’est le fonctionnement sensoriel différent. Comprendre que par exemple si je tombe dans les escaliers ça me fera moins mal que si quelqu’un effleure mon bras.
Vous parlez de « porter un masque », autrement dit le « masking ». Vous pouvez nous en dire plus ?
Le masking pour moi c’est utiliser ses compétences pour masquer une difficulté dans le but de se sentir ou être mieux intégrée. Quand on sait qu’on peut le faire et que ça fonctionne c’est très tentant, mais après c’est un engrenage car vis à vis de son entourage, on s’applique un fonctionnement pas tenable sur le long terme. Et après c’est un peu un piège car si on veut arrêter on risque de perdre des amis et être jugé, faire face à de l’incompréhension. Ce qui est normal car les personnes en face ne peuvent pas s’imaginer l’effort fourni pour faire toutes ces choses. C’est peut-être important de ne pas être trop différent, du moins le moins possible mais dans une certaine limite.
La théorie des cuillères (de Christine Miserandino) nous aide à comprendre la gestion de l’énergie pour une personne qui vit avec une maladie chronique ou un handicap. Le nombre d’unités d’énergie, ou de « cuillères », est limité. Il faut choisir comment les utiliser.
Utiliser l’écrit pour surmonter les difficultés à l’oral
J’ai été diagnostiquée autiste à mon entrée en seconde. Avant il n’y avait pas de mot sur ma différence mais au collège ça commençait à devenir très compliqué. J’avais pu gérer la sixième dans un petit collège de 2 classes par niveaux, puis en cinquième ils m’ont mise dans l’autre classe […] J’ai le souvenir que c’est à ce moment que j’ai commencé à écrire des lettres. Ensuite j’ai vu une pédopsychiatre qui m’a diagnostiquée et je venais très souvent avec une lettre. Au lycée à chaque récréation je passais au bureau des surveillants donner un petit mot à une surveillante. J’écrivais énormément. Sensoriellement c’est beaucoup plus agréable que former des sons avec sa bouche. Ensuite j’ai été diagnostiquée autiste et je suis allée au CRA. Je me souviens d’un classeur d’images sclera que j’avais fait et que je montrais à la psychologue. Il y a des images en noir sans mots, les photos de certaines personnes du quotidien et des éléments de planning. Je ne pense pas que je l’utilisais pour communiquer mais pour me représenter des choses. Et aussi parce que depuis petite j’adore bricoler, manipuler le papier, découper et coller donc j’appréciais beaucoup l’activité de création.
Utiliser des pictogrammes et trouver seule des stratégies
La première fois que j’ai utilisé un support préparé pour communiquer c’était dans un classeur que j’avais fait pour le lycée pour dire quelque chose à l’AVS. Ensuite ça s’est transformé en 3 cartes plastifiées sans velcro. J’utilisais toujours la même pour demander à faire une pause. A cette époque j’allais deux fois par semaine chez l’orthophoniste pour réussir à mieux parler oralement. Je n’étais pas du tout orientée vers la CAA. Et ça a été le cas avec beaucoup de professionnels, d’apprendre à être normale, pas apprendre à s’écouter. Donc j’ai fait mes premiers outils de communication seule. En faisant des recherches j’ai découvert le PODD puis je me suis fait un classeur en m’en inspirant. Je l’ai vraiment aimé cet outil et transporté beaucoup, d’ailleurs maintenant il est sale, c’est pour cela que je ne l’utilise plus, c’est difficile de le laver. C’était un classeur de cartes de visite dans lequel j’ai remplacé les pochettes par des tableaux d’images plastifiées. Sur la face intérieur du devant du livre il y a du velcro avec des cartes sans images pour par exemple demander une pause. C’est ceux-ci que j’utilisais le plus. Il y avait des intercalaires pour les catégories, personnes, nourriture. Et au fond, une réserve de papier et un stylo.
Le passage à la CAA technologique
C’est après ce classeur que j’ai commencé à utiliser une tablette. Fin 2017, je me suis faite une carte d’urgence où il y a entre autre l’information «Communication : J’ai besoin de ma tablette pour communiquer, elle est dans mon sac ». Et ensuite en janvier 2018, j’utilisais mon iPad pour les partitions avec l’application Let me talk. En janvier 2019, j’ai acheté Avaz puis un iPad mini 2 sur lequel j’avais cousu un sac pour le transporter en bandoulière. Je me souviens qu’avant de partir pour la première fois en séjour adapté, j’avais photographié tous mes objets pour les mettre sur la tablette. Je ne crois pas que j’utilisais beaucoup cet outil pour communiquer, je continuais à écrire des papiers ou sur l’application notes. Pour la troisième année j’ai essayé de reprendre l’utilisation d’une CAA robuste. Avec un meilleur outil, un iPad plus récent avec une coque faite pour l’extérieur.
Des outils de CAA divers : Grid for iPad sur tablette, avec un ensemble de pages entièrement personnalisé, Avaz sur smartphone androïd, des porte-clés avec des messages urgents/rapides en trois langues.
Du soutien pour accepter la différence
J’ai surtout rencontré une professionnelle extraordinaire qui m’a fait découvrir qu’on pouvait apprendre à être soi pour se sentir mieux et pas rechercher la normalité juste pour être normale. Je pensais qu’en passant l’été à installer des choses, ça allait bien se passer mais c’est plus compliqué que ça. La CAA demande beaucoup de temps et d’efforts. Par exemple, pratiquer seule au calme c’est différent que de se retrouver dehors dans la situation. Ça m’a fait poser la question si j’en avais vraiment besoin car c’est quand même beaucoup de contraintes, c’est plus lent, certaines personnes regardent ce qui peut rendre mal à l’aise. Mais me forcer à oraliser me rends aussi vraiment pas bien selon les situations. Et surtout à l’oral je suis limitée. Même si j’y mets le maximum d’énergie et de concentration, je n’ai pas les mêmes capacités qu’à l’écrit. C’est pour ces raisons que je pense que c’est impossible que quelqu’un utilise la CAA sans vraiment en avoir besoin. S’inclure dans une conversation de groupe avec la CAA n’est pas facile. Soit je dis des petits éléments et c’est long, soit j’écris plus gros et il faut réussir à appuyer sur parler quand il y a un blanc et que tout le monde va suivre. Et il faut faire cela assez rapidement pour suivre le fil de la conversation et pas sans cesse revenir en arrière.
Comment l’attitude de votre entourage impacte votre utilisation de la CAA ?
C’est sûr que l’attitude des personnes en face a une influence. Face à une personne fermée, la communication peut être inefficace. Il y a comment on dit l’information et comment on la reçoit. L’été dernier, j’ai participé à un stage d’improvisation en musique ancienne, pour apprendre à improviser en groupe, s’approprier les éléments extérieurs. Je n’ai pas oralisé de la semaine et la communication était géniale. Avec un instrument on s’exprime, on peut dire des choses qui n’ont pas de sens (mots) mais transmettre une émotion comme dans la voix. Se montrer triste ou joyeux, timide ou bavard. Et moi en musique j’ai une grande capacité à communiquer. Dans le sens exprimer quelque chose, et répondre à ce que l’autre personne exprime musicalement.
Faire connaître la CAA et ce qu’elle apporte aux personnes autistes
Je pense qu’en général, la CAA demande de la patience et du calme. Mais souvent les personnes veulent aller vite en étant stressées. Puis si je ne suis pas à l’aise, je suis lente et stressée donc ça n’aide pas. C’est aussi accepter d’être clairement différente avec ce que ça implique. Mais c’est pour du mieux car je ne suis pas complètement verbale donc je ne peux pas vivre et fonctionner sans outil pour combler ça. Même si je voudrais par simplicité et parce que sur un temps restreint je peux faire semblant. Et j’ai de la chance de pouvoir faire semblant, car ça peut être plus facile dans certaines situations suffisamment courtes et prévisibles. Avoir une communication fluctuante socialement ce n’est pas facile à gérer pour la personne et pour l’entourage. Et en même temps faire connaître la CAA c’est important pour que d’autres personnes soient plus à l’aise avec ensuite.
Nous remercions Pauline pour son témoignage éclairant, qui nous invite à aller plus loin pour soutenir l’accès aux outils de communication. A ce jour, Pauline n’a jamais rencontré un autre utilisateur de CAA « en vrai ». Heureusement, grâce aux réseaux sociaux, il y a une communauté d’utilisateurs de CAA à l’international, prêt à partager des idées, des expériences, du soutien et de l’encouragement.
L’acceptation de la diversité des moyens de communiquer passe aussi par la visibilité dans notre société des modalités alternatives de communication. Vous avez un témoignage CAA à partager, prenez contact avec notre équipe.
Il y a de plus en plus d’articles de recherche sur le sujet, qui intègrent les expériences de personnes concernées (en anglais) :