Utiliser le regard pour communiquer : exercices pratiques et premiers pas

Votre proche ou votre patient a un handicap moteur important ou une apraxie qui l’empêche de contrôler librement son corps ?

Le pointage oculaire pourrait lui permettre de faire des choix, d’indiquer des messages et même, à terme, de contrôler un ordinateur ou une tablette (avec une commande oculaire). Cet article vous donnera des pistes pour commencer à entrainer l’utilisation du regard, par des jeux et dans des situations quotidiennes. C’est donc utile pour une personne en situation de polyhandicap ou de handicap moteur important, même si vous ne savez pas encore ce que votre proche ou patient comprend et perçoit du monde qui l’entoure.

Florine Pryen, ergothérapeute à l’IEM du Bord de Lys ANAJI à Houplines, nous propose des pistes pour stimuler la communication par le regard, avec ou sans matériel technologique. Ces activités permettent de préparer le terrain pour l’utilisation d’une commande oculaire si vous êtes en attente de financement ou d’évaluation. En bas de l’article, vous trouverez des exercices pour stimuler les mouvements oculomoteurs.

1. Renforcer la notion de cause à effet

Comprendre que nous pouvons agir sur notre environnement, que nous pouvons provoquer une action ou une réaction, c’est une des premières notions à acquérir dans la communication. (Pensez au bébé qui lâche sa cuillère pour que vous la ramassiez). Pour un enfant qui a des limitations physiques, il faudra lui trouver d’autres moyens pour construire cette compréhension et pour agir sur son environnement, en utilisant le regard par exemple :

« Notre petit conseil pour commencer, c’était qu’elle comprenne le lien entre son regard et le résultat obtenu. Par exemple, le jeu des tartes à la crème dans Look to Learn (dans la version gratuite du logiciel). Quand on regarde, ça déclenche une tarte à la crème. C’est des petites choses comme ça qui ont permis à Elise et à d’autres enfants que je connais de comprendre comment ça fonctionnait » Marie-Ange, maman d’Elise

On peut proposer à l’enfant des choix réguliers (les aliments, les habits, les jeux…) et qu’il indique son choix par le regard. N’oubliez pas de laisser un temps d’attente suffisant, pour certains il faut beaucoup de temps pour coordonner leurs mouvements. On peut aussi fixer des pictogrammes à un cadre de pointage oculaire et lui proposer d’indiquer son message.

2. Pourquoi entrainer les yeux pour l’utilisation de la commande oculaire ?

Nous avons peu l’habitude de faire bouger nos yeux. Le travail de l’oculomotricité est donc fatiguant. Au départ, il est normal d’être rapidement gêné et avoir une sensation désagréable. Il est important de rassurer la personne qui utilise la commande oculaire sur le fait que cet inconfort ne durera pas et que l’entraînement permet d’acquérir de l’endurance. Et dans un premier temps, on va travailler l’utilisation des yeux sur des temps très courts.

« Il ne faut pas que l’utilisation de cet outil soit une corvée pour tous, si à un moment donné la personne utilisatrice ou l’accompagnateur n’est pas motivé, on range tout et on verra plus tard… Il ne faut pas se décourager, la prise en main peut être plus ou moins longue. » Adeline, maman de Juliette.

3. Quelles sont les compétences oculomotrices à travailler ?

Une commande oculaire utilise des signaux infrarouges qui analysent la position des yeux. L’appareil va analyser trois choses :

  • La fixation, ce qui correspond au moment où l’œil/les yeux s’arrête(nt) sur une cible visuelle permettant ainsi la saisie d’information visuelle
  • Les saccades, ce qui correspond au saut des yeux d’un point de fixation à un autre
  • La poursuite, ce qui correspond au mouvement des yeux qui suivent une cible visuelle en mouvement.

La motricité des yeux est assurée par 6 muscles oculomoteurs, qui comme les autres muscles du corps sont dépendants de fonctions neurologiques périphériques et centrales. Il est donc possible de s’entraîner à l’utilisation d’une tablette de communication avant même d’avoir le matériel en travaillant ces différentes compétences oculomotrices.

Nous allons voir dans la suite de l’article des petits jeux à faire chez soi et/ou pendant les suivis.

4. Comment s’installer pour travailler l’utilisation du regard ?

Avant toute chose, il faut être bien installé et confortable. On prend donc le temps de réfléchir à la façon dont l’utilisateur est le mieux installé tout en pouvant utiliser le matériel de façon fonctionnelle. Il est intéressant de travailler les compétences oculomotrices dans une situation semblable à celle de l’utilisation de la commande oculaire. Que la personne soit confortablement installée, que le maintien de la position choisie ne lui demande pas trop d’effort et que cette position soit reproductible à chaque utilisation. Un ergothérapeute peut vous aider dans le choix de l’installation et la recherche d’éventuelles aides au maintien.

« Pour nous la position la plus facile, c’est quand Juliette est installée dans son fauteuil. A contrario la plus difficile est quand elle joue au sol. »  Adeline, maman de Juliette.

5. Quels jeux peut-on faire pour stimuler la fixation ?

La fixation est un arrêt momentané du mouvement des yeux sur un point ou un objet. Elle permet de saisir des informations visuelles détaillées sur cet objet (forme, taille…). Pour stimuler les compétences de fixation, nous pouvons :

  • Nous installer dans une pièce plongée dans l’obscurité ou la pénombre et présenter des stimuli lumineux.
  • Nous installer dans une pièce éclairée et présenter des objets noir et blanc, des objets de couleurs vives ou brillants. Nous pouvons aussi utiliser des photos ou des images.

Durant les exercices de fixation, nous présentons l’objet à la personne à une distance entre 50 et 70cm (ce qui correspond à la distance idéale entre les yeux et la commande oculaire).

Quelques conseils :

  • ne pas bouger pour ne pas parasiter la fixation
  • si le regard ne se pose pas automatiquement sur la cible, nous pouvons l’attirer en faisant un petit bruit (redondance auditive).
  • Varier les situations : obscurité, lumière du jour, pénombre…
  • Les objets colorés et lumineux se trouvent facilement dans les magasins discounts
  • On peut créer des petites marionnettes avec des bâtons de glace ou des pailles.

6. Quels jeux peut-on faire pour stimuler la poursuite ?

La poursuite est la capacité que nous avons de suivre des yeux une cible visuelle qui bouge. La poursuite, quand elle est totalement développée, se fait de façon continue et fluide. Pour réaliser une poursuite, il est nécessaire d’avoir une fixation efficace.

La poursuite implique un mouvement seul des yeux ou par un mouvement combiné des yeux et de la tête si cela est nécessaire (port de lunettes, difficultés motrices…).

Pour stimuler la poursuite, nous pouvons proposer les mêmes stimulations que pour la fixation, mais les mettre en mouvement dans toutes les directions (droite-gauche, haut-bas, diagonales).

Nous demandons à la personne de regarder la cible, nous attendons que la fixation se fasse puis on bouge l’objet. Au départ, le déplacement doit être lent puis nous pouvons accélérer si cela est possible. Si la personne perd la fixation, on lui laisse le temps de la retrouver, on peut l’aider en faisant un bruit ou en secouant l’objet, puis on reprend le déplacement.

Remarque : si la personne a besoin d’attraper l’objet, on peut la laisser faire puis peu à peu, on lui demande de juste regarder.

7. Quels jeux peut-on faire pour stimuler les saccades ?

Une saccade oculaire est un petit mouvement des yeux entre deux fixations : « je fixe un objet, et je déplace mon regard pour en fixer un deuxième ». Le mouvement est très rapide et très court.

Plus les cibles visuelles sont proches plus la saccade doit être précise.

Les mouvements de saccades sont la base de notre exploration visuelle du monde.

Pour stimuler les saccades, nous allons utiliser le même matériel que précédemment : lumière, personnages, images contrastées ou aux couleurs vives…

On peut faire plusieurs petits jeux :

  • En utilisant un support en carton découpé en créneau de château ou une maison avec des fenêtres. On présente les stimulations visuelles entre chaque créneau ou dans les fenêtres. Il n’y a pas besoin de donner de consigne. Si le regard ne se pose pas sur la cible, nous pouvons attirer les yeux avec un bruit ou en agitant l’objet.
  • On présente deux cibles plus ou moins écartées et on demande à la personne de regarder un objet puis l’autre.

8. Quels jeux peut-on faire pour stimuler l’exploration ?

L’exploration est une recherche intentionnelle d’un élément visuel dans l’environnement. L’exploration va se faire par une succession de saccades qui doivent être organisées afin de ne pas perdre d’information. Pour stimuler l’exploration, on peut se servir de l’environnement : on cache un objet dans une pièce et on demande à la personne de la chercher du regard.

On peut également travailler à table en utilisant des jeux de memory : on place quelques cartes face visible et on présente un double. La personne doit retrouver celle qui lui est associée. On peut placer, sur la table, les cartes de façon ordonnée (en lignes plus ou moins nombreuses), ou de façon désordonnée. On peut aussi complexifier en mettant plus de cartes.

Les livres de « cherche et trouve » sont également d’excellents jeux pour stimuler l’exploration. La taille du livre, la taille des éléments visuels et leur nombreux rendent l’activité plus ou moins difficile.

Certains livres pour petit présentent des images très contrastées et permettent de stimuler l’exploration.

Voici de nombreuses pistes pour stimuler et travailler l’utilisation du regard, qui peuvent être intégrés dans les jeux et les interactions au quotidien. Nous remercions Florine Pryen, ergothérapeute pour ses conseils, ainsi que les mamans qui ont partagé des astuces.

Vous avez une expertise à partager ou une question à poser ? N’hésitez pas à contacter l’équipe HappyCAA pour en parler.