Vers un monde de possibilités avec la CAA
Témoignage de Leïla, orthophoniste en IME, et sa découverte de la communication alternative et améliorée
L’enthousiasme de Leïla JAA, jeune orthophoniste en IME surnomée « La Fabrique à pictos », est contagieux. Dans cet article, elle nous raconte ce qui lui a donné envie de se lancer dans l’utilisation de la communication alternative auprès des adolescents qu’elle accompagne et sa découverte de ce « champ des possibles » qu’elle n’avait pas imaginé.
Leïla nous partage des anecdotes glanées dans son quotidien d’orthophoniste en établissement, les difficultés auxquelles elle a dû faire face et ses conseils pour d’autres collègues qui souhaitent intégrer la CAA dans leur pratique. Nous la remercions pour son énergie et son engagement !
Racontez-nous votre utilisation de la CAA au quotidien
J’ai débuté cette belle aventure de la CAA robuste relativement récemment – depuis septembre 2023 seulement – avec la mise en place du PODD auprès de 16 jeunes. Nous utilisons principalement les signes et les classeurs PODD papier pour le moment. Très prochainement (d’ici quelques semaines) nous serons équipés de tablettes avec l’application TD snap. Nous utilisons également des tableaux de langage alternatif (TLA) et avons un projet de signalétique dans l’ensemble de l’établissement.
Objectif : l’accessibilité de la communication en tout endroit, pour toute personne et toute activité.
En parallèle, je développe avec ma collègue infirmière Gaëlle, le MédiCAA : un outil permettant l’accessibilité de la communication dans un parcours de soin pour toute personne présentant des troubles de la communication (de l’enfant à la personne âgée).
Qu’est-ce qui vous a « convaincu » de l’utilité de la CAA pour vos élèves ?
Je n’ai jamais douté de l’utilité de la CAA pour les jeunes que nous accompagnons. J’étais frustrée d’utiliser les signes sans que cela ne puisse être généralisé avec l’ensemble des partenaires de communication des jeunes, frustrée d’être limitée par mon manque de connaissance (mais également : par mes fausses-croyances, mes présuppositions !) lorsque je créais des classeurs de communication.
La formation PODD a été une révélation : une porte qui ouvrait vers un champ des possibles que je n’avais pas imaginé !
Quels bénéfices constatez-vous pour les jeunes ? Et pour les professionnels qui les accompagnent ?
Il y en a tant ! La communication, c’est accéder à l’autre. A ce qu’il est, ce qu’il aime, ce qu’il pense, ce qu’il ressent. C’est ouvrir un pont entre le jeune, utilisateur de CAA et nous, en utilisant une langue commune.
Les bénéfices pour les jeunes sont évidents : pouvoir, enfin, faire entendre leur voix. Leurs envies, leurs rêves (pour certains, cela a pu s’exprimer sur un projet professionnel), leurs vies, leurs personnalités (faire des blagues !), ainsi que leurs besoins (que je cite en dernier car « ceux-là », on ne les oublie jamais, même si la communication c’est tellement plus que ça !).
Les bénéfices pour les professionnels sont aussi multiples : Avec ces outils de communication, nous nous sentons rassurés sur ce que nous pouvons apporter aux jeunes, plus compétents. C’est finalement beaucoup plus simple : modéliser, fournir un bain de langage, sans présupposer des compétences du jeune. Tout est opportunité de communication. Nous lisons une histoire, mangeons, nous promenons, arrangeons un conflit, parlons du dernier dessin-animé regardé à la télévision … : la communication robuste accompagne toutes ces situations.
Evidemment, l’utilisation de la CAA limite également les moments complexes au quotidien, en réduisant les violences et les troubles du comportement par exemple.
Quelles difficultés avez-vous rencontré et comment les avez-vous surmontées ?
Je suis la seule orthophoniste de la structure (l’IME accueillant 110 jeunes), auprès de 6 équipes. La CAA (et particulièrement la CAA robuste) n’était, jusqu’alors, pas/peu connue – malgré plusieurs tentatives par le passé. J’ai passé les 2 premiers mois suivant la formation à présenter le PODD aux équipes (avec un maximum d’entrain !), à créer une dizaine de classeurs, avec les familles (j’avais pour objectif qu’une grande partie soit finalisée avant les vacances d’été) : une masse de travail conséquente dont je ne percevais pas l’issue. Maintenant que je « connaissais » l’existence de ce champ des possibles – qu’on m’avait transmis – la richesse d’un système de communication robuste, j’étais dans cette soif/cette urgence de création.
Je reste confrontée à des difficultés dans la mise en place d’outils de CAA… Globalement, dans un souci de porter ce projet de communication, je m’impose d’être dans une forme de « démonstration » autour de la CAA (vidéos, échanges sur de petites victoires) au sein de l’établissement, de préparer de nombreux supports, d’être hyper-réactive lorsque des collègues me font des demandes spécifiques (ajouter un pictogramme, créer un TLA) … Une grande dépense en énergie. Je fais d’ailleurs toutes mes séances / groupes en co-intervention donc préparation obligatoire ! Ce format de groupe me permet toutefois de sensibiliser à la CAA, partager le regard de mes collègues sur le quotidien des jeunes et permettre la généralisation de l’outil de communication.
Pouvez-vous nous raconter quelques anecdotes de moments marquants avec la CAA ?
- Nous créons le PODD d’un jeune, T., avec sa maman et sa sœur. A la fin de ce long temps de fabrication, T. nous rejoint. Il prend le PODD (très observateur, il a déjà vu d’autres jeunes de l’IME s’en servir), il prend le PODD et va jusqu’à « sentiments et émotions », puis nous montre « heureux » en nous montrant toutes, autour de la table. Une belle clôture de ce moment !
- Un éducateur nous fait le retour des attentes d’un jeune pour son projet. Des attentes très précises : faire davantage d’espaces verts, diminuer les temps de cuisine, il apprécie les temps loisirs créatifs, etc. Ce jeune étant non oralisant, j’interromps mon collègue et lui dis « mais, comment as-tu pu accéder à toutes ces informations ? », « Bah ? avec le PODD », comme la chose la plus naturelle du monde !
En bref, le PODD est non seulement compris mais également porté par toute cette équipe. Une belle victoire – et je les en remercie ! - Avec K., nous modélisons depuis des mois … Nous ne percevons pas d’intérêt porté sur les outils de communication (nous le savons : nous ne devons pas avoir d’attente particulière mais tout de même, c’est tellement rassurant de savoir que notre modélisation est « utile »). En séance, je propose à K. de mettre le TLA au tableau et le pointage étant très imprécis (il balaye l’ensemble du TLA avec sa main), je lui donne un aimant. Effet immédiat : il le pose sur l’objet désiré ! Quelques minutes après, il chute (un peu trop excité), déplace l’aimant et le pose sur « tomber » en nous montrant le sol. Un commentaire ! Deux séances plus tard, il associe deux aimants. Un beau moment de joie partagé avec une collègue éducatrice. Depuis, il ne cesse de nous surprendre … Une solution d’accès qui a tout changé !
Quels conseils donneriez-vous à d’autres professionnels qui souhaitent se lancer avec la CAA ?
Faire des groupes ou séances en co-intervention ! Une manière efficace pour généraliser l’utilisation de l’outil de communication, partager et dépasser les doutes et questionnements qui pourraient freiner sa mise en place, partager nos connaissances mutuelles et surtout : vivre la communication avec le jeune.
Ne jamais présupposer des compétences (ou un manque de compétences) d’une personne non-oralisante !
Toujours y croire : modéliser sans attente, encore et encore, autour de supports variés.
Oser se tromper, être lent/tâtonner, échouer : si vous saviez le nombre de « Oups » que je produis dans une journée …