Polyhandicap, ces élèves qui nous bousculent

« Cela reste difficile pour beaucoup d’entre eux de se livrer à des personnes qui ne reconnaissent pas leurs compétences. Il faut donc que l’enfant soit prêt à se dévoiler et l’adulte doit être prêt à voir ! »

Proposer des apprentissages riches et stimulants aux enfants en situation de polyhandicap, leur apprendre à lire et à écrire, c’est le parti pris des professionnels de l’IEM du Bord du Lys dans les Hauts de France. Changer de posture, avoir des objectifs ambitieux et ouvrir la porte aux possibilités, cette approche qui propose des moyens de communication alternative, ainsi que l’accès à l’écrit, a permis aux jeunes accueillis dans la structure de dépasser toutes les attentes et démontrer leurs réelles capacités.

« Ils ne savaient pas que c’était impossible, donc ils le firent », Mark Twain.

Céline Carette et Céline Hasbrouck, enseignantes spécialisées et Anaïs Jouan, orthophoniste nous partagent leur projet innovant et comment elles ont pu travailler main dans la main avec les familles ainsi que les autres professionnels. Nous découvrons ici un projet porteur d’espoir.

Votre structure est un Institut d’Education Motrice. Quels sont les défis auxquels font face vos élèves et de quels outils ont-ils besoin pour communiquer ?

Les défis pour nos élèves en situation de polyhandicap sont nombreux : Pour communiquer, il faut d’abord et avant tout être reconnu comme un interlocuteur potentiel, c’est-à-dire un être capable de compréhension et d’échange. Plusieurs facteurs viennent empêcher cette reconnaissance :

  • Les troubles du comportement
  • L’aspect physique (bavage, odeur, regard fuyant, …)
  • Les représentations et définitions du polyhandicap associées à une déficience intellectuelle sévère.
  • Leur besoin de communication différent d’un jeune à l’autre (centres d’intérêt, relation à l’autre, …) et peut-être différent des nôtres.
  • Les TSA avec des intérêts restreints qui se traduisent dans la communication.

Pour communiquer, il y a la nécessité d’avoir un interlocuteur, ainsi un autre frein à la communication est la possibilité d’accès à l’autre. Ils sont, pour la plupart, dépendants dans leurs déplacements : aller vers l’autre est, en soi, complexe voire impossible.

Tous nos jeunes en situation de polyhandicap ont besoin d’une communication alternative et/ou augmentée, dans l’idéal un dispositif linguistiquement robuste, qui permet de s’exprimer complètement. Ensuite, il s’agit de déterminer le moyen d’accès à l’outil de communication : comment l’élève va-t-il désigner son message ? Cela peut être par pointage oculaire, manuel, digital ou autre qui détermine le support en lui-même qui peut être high tech ou low tech. Le coût moteur, cognitif et/ou financier de l’utilisation d’une CAA peut être un frein pour certains.

Quels conseils donneriez-vous aux familles et aux établissements pour créer un climat de confiance réciproque ?

Il faut tout d’abord faire confiance aux enfants et partir du principe qu’ils peuvent le faire !

Pour cela il faut adopter une posture où l’on présume des compétences (modèle de participation) plutôt qu’une posture en attente de pré-requis pour lancer quoi que ce soit (modèle de candidature). En effet, personne ne saura jamais utiliser quelque chose qu’il n’a jamais eu entre les mains ! Il faut proposer, entraîner et ensuite seulement déterminer si oui ou non cela convient. Tout ceci en gardant une ouverture d’esprit qui nous permet de nous laisser surprendre.

Il est également nécessaire de changer de temporalité, les apprentissages peuvent être plus rapides que prévus ou alors très lents. Il faut accepter de suivre le rythme impulsé par l’enfant. Notre rôle, en tant que professionnel ou parents est de leur proposer le meilleur et de les laisser se saisir de ce qu’ils veulent / peuvent au rythme qui leur convient.  Il faut accepter que l’enfant refuse de communiquer et ne pas prendre cela pour un échec déterminant pour la suite.

Pour les professionnels, il est nécessaire de faire confiance aux familles, ce sont elles qui connaissent le mieux l’enfant.

L’environnement a autant d’impact sur l’apprentissage que les capacités de l’enfant.

Certains jeunes ont pu témoigner de leur expérience d’avoir accès à la communication et à l’écrit. Qu’est-ce qu’ils ont dit ?

Il y aurait certainement autant de réponses que de jeunes !

Ethan écrit « Je peux maintenant m’exprimer avec tout le monde quand je veux. Je suis toujours pris pour un handicapé qui ne comprend rien. » (Témoignage d’Ethan p.192-193)

Certains jeunes ont dévoilé des compétences que l’on n’osait pas espérer. Comment ont réagi les familles et les autres professionnels face à ces évolutions ?

De telles compétences cognitives vont à l’encontre des connaissances théoriques et des représentations liées au polyhandicap.

Chacun de nous, parents ou professionnels, a été bousculé chacun à sa manière !

« Moi ils m’ont épaté, je n’y croyais pas et au fur et à mesure ils m’ont montré leur savoir-faire… Cela reste toujours surprenant. Cette année encore, pour certains enfants je me suis dit que ça n’allait pas être possible. Et pourtant, c’est eux qui ont le plus progressé. »

Témoignage de Mickaël, AMP. Vous pouvez retrouver d’autres témoignages de parents et de professionnels dans le chapitre Regards croisés.

En quoi proposer des apprentissages plus riches, et voir les compétences des jeunes émerger, a changé la posture des professionnels vis-à-vis des élèves ? Quelles réticences existaient et qu’est-ce qui a permis de les surmonter ?

Certaines résistances restent présentes. La vision du polyhandicap, et notamment la notion de déficience intellectuelle, reste difficile à faire bouger de par la formation initiale des professionnels.

Cependant, le regard sur les enfants en situation de polyhandicap a évolué au sein de l’IEM. La présence de professionnels éducatifs ou de rééducateurs dans les classes, le fait que l’orthophoniste utilise les outils de CAA devant les autres professionnels dans des temps informels (dans la salle de vie, au repas, dans les couloirs) et organise des groupes de parole en CAA dont d’autres professionnels font partie y a contribué. Cela permet aux autres professionnels de voir les jeunes en situation écologique de communication dans un lieu qu’ils connaissent (le bureau de l’ortho ou la classe) avec d’autres jeunes qui communiquent comme eux (tablette, PODD papier, ordinateur, commande oculaire).

En réalité ce sont les enfants eux-mêmes qui ont le plus favorisé cette évolution en acceptant d’utiliser leurs compétences de lecteurs au service de leur communication. Cela reste difficile pour beaucoup d’entre eux de se livrer à des personnes qui ne reconnaissent pas leurs compétences. Il faut donc que l’enfant soit prêt à se dévoiler et l’adulte doit être prêt à voir !

Comment avez-vous abordé la lecture et l’écriture avec ces élèves qui ne peuvent ni parler, ni tenir un crayon ?

Evidemment nous n’avons pas pu travailler et évaluer chacune des compétences de l’école maternelle du fait des limitations motrices de nos élèves. Nous nous sommes limitées à certaines compétences en les adaptant à la réalité des enfants (tableau des compétences cf. p.91-92)

On peut alors considérer « qu’il y a des trous dans la raquette » mais nous avions évalué que les compétences nécessaires à l’apprentissage de la lecture étaient acquises.

Pour les enseignants de CP, l’apprentissage de la lecture comprend la lecture à haute voix et la compréhension du texte et est indissociable de l’encodage et du geste graphique.

Les troubles moteurs de nos élèves excluent l’oralisation et le geste graphique.

Nous nous sommes donc concentrées sur l’évaluation du décodage (reconnaissance de la syllabe, du mot oralisé par l’adulte) puis de la compréhension de textes lus par l’enfant et de l’encodage.

Quelques exemples :

  • L’adulte propose plusieurs syllabes écrites sans les oraliser. L’élève en prend connaissance. L’adulte oralise l’une de ces syllabes et demande à l’élève de la désigner.
  • L’adulte propose plusieurs mots écrits sans les oraliser. L’élève en prend connaissance. L’adulte oralise l’un de ces mots et demande à l’élève de le désigner.
  • L’adulte propose plusieurs phrases écrites sans les oraliser. L’élève en prend connaissance. L’adulte montre ensuite une image et demande à l’élève de désigner la phrase qui lui est associée.

De manière générale, les élèves se sont montrés enthousiastes et désireux de montrer leurs compétences.

C’était le début d’une grande aventure et la première d’une série de découvertes !

Et si c’est la famille qui porte un projet de communication et d’apprentissages ambitieux, que diriez-vous aux professionnels qui les entourent ?

« Allez-y, lancez-vous et formez-vous ! »

Les familles sont expertes de leur enfant, ce sont elles qui les connaissent le plus. Il faut leur faire confiance, si elles portent un projet ambitieux c’est qu’elles savent que leur enfant en est capable.

De plus, quand un projet de CAA se met en place, il faut que les familles travaillent étroitement avec le(s) professionnel(s) qui les accompagne(nt) afin qu’elles deviennent expertes de la communication de leur enfant (accès à l’outil, personnalisation, modélisation). Ainsi, elles pourront transférer leurs connaissances auprès des nouveaux professionnels que rencontrera leur enfant au cours de sa vie.

Les formations peuvent se faire par les organismes prévus à cet effet mais vous pouvez aussi envisager des formations entre professionnels ou par la famille.

Nous remercions l’équipe de l’IEM du Bord de Lys pour ces partages. Pour en savoir plus, nous recommandons vivement la lecture du livre « Elèves en situation de polyhandicap : laissez-les vous bousculer », qui est sorti aux Editions l’harmattan.

FAQ

Afin de se retrouver dans les différentes expressions propres à la Communication Alternative et Augmentée, HappyCap vous propose un dictionnaire de la CAA.

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