Témoignage de Judith et son fils Lazare

Judith Babot est enseignante spécialisée, fondatrice de l’association Affiche la couleur et maman de deux enfants, dont Lazare, un petit musicien au sourire craquant qui est en situation de polyhandicap. Comme Lazare ne parle pas, il faut trouver des moyens pour l’accompagner dans sa communication et lui permettre de participer à l’école et échanger avec sa famille et son entourage. Judith témoigne sur leurs parcours, comment ils font au quotidien pour valoriser et encourager sa communication naturelle, « sa première langue, c’est la musique », tout en lui proposant d’autres outils pour développer son langage et se raconter.

Présentez brièvement votre enfant et sa communication actuelle

Lazare est un petit garçon de 8 ans. Il est porteur d’un syndrome génétique très rare qui entraine chez lui une absence de langage oral avec des mots et des troubles moteurs importants. Aujourd’hui il communique avec son entourage avec l’application Snap core first, mais aussi en chantant ou en mettant une chanson sur Snap, en nous prenant par la main, en riant/pleurant/criant/vocalisant et (un peu, de plus en plus) avec le regard. Il va à l’école maternelle et a la « chance » que son outil de communication soit utilisé par tout son entourage, dans tous les lieux de vie (imparfaitement, mais partout !).

Qu’est-ce que la communication alternative et augmentée vous apporte dans votre relation avec votre enfant ?

La CAA demande une implication très importante de ma part. Elle m’oblige à l’écouter et lui donner la parole comme à sa sœur. Elle me rappelle que lui aussi doit pouvoir décider, choisir, donner son avis. La CAA donne à Lazare sa place de petit garçon, il est encore très dépendant de son partenaire de communication, pour le guider, pour le comprendre, pour paramétrer l’application et introduire des mots ou des phrases, et la CAA invite ce partenaire à lui donner la parole, à se méfier des interprétations rapides. Et puis quand parfois il dit « maman » ou « je t’aime », c’est tellement beau et réconfortant !

Est-ce que vous pouvez partager une anecdote ou une histoire qui montre l’utilisation de la CAA dans votre quotidien ? 

Il y a 3 ans, lors d’une grosse colère pour quitter les jeux sur tablette… son père lui dit « je vois bien que ça te met très en colère » en modélisant « ça me met très en colère ! » Et Lazare répond « ça me met très en colère, ça me met très en colère, ça me met très en colère, je veux un câlin, je veux un câlin » et la colère est passée. Même si cette scène est exceptionnelle chez nous, aujourd’hui le simple fait de formuler et de modéliser sa colère l’aide à la faire passer, même si les réponses de sa part ne sont pas aussi appropriées, on lui en parle et on lui laisse la possibilité de le faire !

Un jour au secrétariat des médecins, on arrive avec Lazare à pied, donc je l’appuie au comptoir avec sa tablette devant lui, et tellement habituée à ce qu’il pianote sur Snap core, je commence ma conversation avec la secrétaire…au bout d’une minute elle me dit « mais il me dit bonjour là !?! » Et oui, je ne l’avais même pas noté ! Une secrétaire (assez froide en temps normal) et une maman émues aux larmes et très fières… je ne me souviens plus du tout pourquoi on y allait !

Une amie très émue parce que le cadeau de sa fille Madeleine apparaît dans son cahier de vie et qu’il répète encore et encore « Madeleine m’a donné un cadeau ».

Sa grand-mère (ma mère) qui me répète pendant trois jours qu’alors qu’elle le gardait qu’il lui a VRAIMENT parlé de choses importantes, et qui peine elle-même à y croire.

Mon médecin qui me raconte qu’il l’a croisé un jour sans moi et qu’il lui a VRAIMENT parlé, VRAIMENT dit bonjour et VRAIMENT demandé comment il allait. Moi je ne sais jamais si c’était vraiment, mais peu importe finalement, tant qu’il communique avec les autres et que les autres communiquent avec lui.

L’écouter répéter le prénom de sa copine Éva quand il ne la voit pas assez.

Le voir réclamer son assistante de vie Flavie et l’équitation toute la journée.

Suivre la discussion à table le soir en famille sur sa journée avec son cahier de vie.

Trouver son papa en train de modéliser quand je n’étais pas là.

Entendre le monsieur du taxi lui dire en partant « au revoir Lazare ! Enfin…au revoir Zazou ! Tu m’as bien dit que c’était ton surnom ! »

Au quotidien, peu d’efficacité en réalité, très peu même par périodes… mais pourtant j’ai des centaines d’anecdotes, je pourrais écrire un livre, et tous ces moments isolés font partie des plus précieux, des plus intenses, comme des petites fenêtres sur ce que Lazare est vraiment, caché par tous ses empêchements…

Je ne peux pas choisir une seule anecdote, désolée…

Est-ce que vous avez utilisé d’autres outils, méthodes et stratégies avant d’arriver à ce que vous utilisez actuellement ? Lesquels ? Qu’est-ce que cela vous a apporté ?

Lazare ne prêtait pas attention à ce qu’on lui montrait, il n’attrapait pas ce qu’on lui donnait, il ne nous regardait pas, ne nous sollicitait pas, n’imitait pas. Le PECS et le Makaton ont été écartés pour ces raisons. Par contre, il chantait, reproduisait à la perfection les chansons, les musiques entendues.

Nous avons plongé dans la CAA en famille, lors d’un camp de communication, avec le PODD. On est reparti avec ce gros classeur et l’idée fixe que la modélisation et, pour Lazare, la répétition orale des chemins dans le PODD, allaient petit à petit, tout petit à petit, permettre à Lazare d’entendre, écouter, intégrer, s’intéresser, et regarder, puis pointer…

Pendant deux ans j’ai modélisé, et parallèlement j’ai créé son langage à lui, pour mieux le comprendre. Son canal préféré, c’est le monde de la musique, de la mélodie. Assez naturellement, quand il a reproduit l’air de la phrase « à bientôt » de son poisson chantant, nous l’avons utilisé nous même pour dire au revoir, lui faire dire au revoir. Alors je lui ai fabriqué une langue en mélodie : à chaque chanson, comptine, air, une signification : « il était un petit navire » pour aller dans le bain, la piscine, faire des jeux d’eau…; « J’ai une maison pleine de fenêtres » pour la maison ; « Elle s’appelle Émilie jolie » pour sa sœur… Ce vocabulaire est encore utilisé, par lui et certaines personnes de son entourage. Le livret fait au départ a permis de transmettre aux autres, et de les associer aux mêmes pictogrammes que dans son PODD. Le vocabulaire chanté a été enrichi par d’autres, certaines personnes ont un prénom chanté !

L’application Snap Core First a succédé au PODD parce qu’il rassemble les mêmes pictogrammes que le PODD, et un retour vocal que l’on peut même chanter ! Nous avons également été séduits par la possibilité d’intégrer ses chansons dans l’application, celle de jouer avec le langage et le retour vocal.

Qu’est-ce qui vous a le plus aidé sur votre chemin de la communication ? De quoi avez-vous eu besoin ? 

La communauté de parents et les conseils avisés de certains professionnels sont les deux ingrédients indispensables, et on a la chance que ces deux populations se mélangent et s’enrichissent grâce aux réseaux sociaux. Profitons-en !

Et votre enfant, qu’en dit-il : qu’est-ce que la CAA lui apporte ? 

Je parle à sa place :

Lazare aime jouer avec le langage sur son outil de communication, écouter mille fois les mêmes phrases, les couper, les reprendre. Il aime écouter ses chansons qui ont leur place dans l’application.

Il aime raconter sa vie avec son cahier de vie et répéter encore et encore.

Il aime aussi répéter certains mots que l’on n’utilise jamais vraiment mais dont il aime la sonorité.

Lazare aime aussi quand il sent qu’il est entendu, compris, et qu’on lui répond, son regard s’allume, le sourire grandit.

Lazare aime dire « bonjour », « au revoir » « comment tu vas ? ». Il utilise ces phrases pour compenser l’absence du regard, d’intention corporelle, il marque sa présence. Bon… pas à chaque fois, mais quand ça arrive….

Quels conseils donneriez-vous à des parents qui découvrent tout juste la CAA ? 

Entrer dans la communauté CAA, si ouverte, sur le groupe Facebook CAA francophone.

S’entourer de professionnels qui pourront vous soutenir sur ce chemin.

N’attendez pas forcément que ces professionnels soient formés à l’outil qui convient à votre enfant mais trouvez ceux avec lesquels vous serez entendus, avec lesquels vous pourrez échanger et partager, et qui comprennent votre démarche !

Écrivez un petit mot sur le groupe CAA quand vous êtes découragés, vous y trouverez du soutien et des idées.

Écrivez un petit mot sur le groupe CAA quand vous êtes fiers, après on se sent encore plus fiers et en plus d’autres parents et professionnels ont été aidés par votre partage.

Qu’est-ce que vous voudriez que tous les professionnels sachent concernant la CAA ? 

Que l’accès à la communication est un droit fondamental et un besoin naturel, qui s’apprend naturellement.

Judith a créé un blog pour parler de leurs parcours de communication. Elle y partage des idées d’activités, des ressources et des réflexions riches. Suivre les aventures de CAAnard et Zazou ici : https://caanardetzazou.wordpress.com/

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